14 février 2021 – Une puissance au coeur du désert – Marc 1, v.40-47 – B. Marchand

Marc 1, v.40-47

40 Un lépreux vient à lui et, se mettant à genoux, il le supplie : Si tu le veux, tu peux me rendre pur. 41 Ému, il tendit la main, le toucha et dit : Je le veux, sois pur. 42 Aussitôt la lèpre le quitta ; il était pur. 43 Jésus, s’emportant contre lui, le chassa aussitôt 44 en disant : Garde-toi de rien dire à personne, mais va te montrer au prêtre, et présente pour ta purification ce que Moïse a prescrit ; ce sera pour eux un témoignage. 45 Mais lui, une fois parti, se mit à proclamer la chose haut et fort et à répandre la Parole, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville. Il se tenait dehors, dans les lieux déserts, et on venait à lui de toutes parts.

 

Une puissance au coeur du désert

Dans cette rencontre entre Jésus et ce lépreux, plusieurs éléments sont, pour moi, surprenants.

Ce qui m’étonne d’abord, c’est que le lépreux demande non pas d’être guéri mais d’être purifié. Plus exactement, il appelle Jésus auprès de lui, il l’appelle à se rapprocher de lui, alors qu’il n’est pas approchable du fait de sa maladie contagieuse. Il appelle Jésus à son secours pour être purifié. En parlant de purification, il emploie un vocabulaire du domaine du religieux. La pureté et l’impureté sont définies par la loi religieuse, et c’est le prêtre qui régule la vie quotidienne en fonction de cette loi.

D’ailleurs, si, dans la loi du Premier Testament, les cas d’impureté corporelle sont nombreux, il est étonnant de constater que, dans l’évangile selon Marc, le récit de ce lépreux est le seul où il est question d’impureté provoquée par le corps. Dans tous les autres récits, l’impureté concerne l’esprit, et nous y voyons Jésus amené à chasser des esprits impurs. Jésus dit aussi que l’impur est, non pas ce qui entre dans le corps, mais ce qui sort du cœur de l’humain (Marc 7.18-23).

Alors comment comprendre cette demande du lépreux d’être purifié plutôt que guéri ?

En fait, la façon dont on désigne cet homme exprime déjà où se situe le problème. On le désigne comme “un lépreux”. C’est sa maladie qui lui donne son identité sociale. N’est-ce pas choquant ? Nous voyons que déjà, dans l’Antiquité, les êtres humains étaient définis selon leurs maladies ou leurs déficiences. Je dis “déjà”, car notre société fait bien de même. On entend : cet homme est “un cancéreux”, “un handicapé”, “un Alzheimer”, etc.

Ce sont des raccourcis de langage, me direz-vous, mais ces raccourcis en disent long sur notre façon de regarder les êtres humains.

Le problème de cet homme réside dans le regard social qui est porté sur lui. il manque à cet homme une intégration sociale, une considération autre que sa maladie. En quelque sorte, guérir n’est pas la question. La question est de faire partie de la communauté humaine en tant qu’être humain, peut-être avec une maladie ou une déficience, mais l’être est plus que la maladie ou la déficience. Pour cet homme que rencontre Jésus, redevenir pur signifie réintégrer la société qui est régie par la loi religieuse.

Voilà pourquoi cet homme, malade de la lèpre, demande d’être purifié. Cela explique aussi pourquoi Jésus l’envoie voir un prêtre pour être reconnu comme pur. Seul le prêtre en a le pouvoir, l’autorité.

Dans ce texte, il est bien aussi question de pouvoir. L’homme s’adresse à Jésus en lui disant : “si tu veux, tu peux.” Mais il ne s’agit pas du même pouvoir que le prêtre. Jésus peut, c’est-à-dire qu’il a en lui la puissance nécessaire à la transformation de cet homme, une transformation qui passe par une guérison.

L’émotion que provoque l’appel de cet homme est profonde. Elle atteint Jésus aux entrailles, dit le texte grec. Cette vive émotion, de forte empathie, voire de compassion, déclenche la volonté de Jésus ; il lui répond : “Je le veux”. Cette puissance est ici l’expression en actes de la volonté de Jésus de répondre à l’appel de cet homme. Une puissance de vie, je dirais.

Mais cette puissance a curieusement des limites. C’est un nouveau point qui m’a surpris en regardant attentivement le texte. Nous le voyons, à la fin du récit, “Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville”. C’est le même verbe grec qui est utilisé : “si tu veux, tu peux” puis : “Jésus ne pouvait plus”.

Avec l’homme malade de la lèpre, la puissance de Jésus a été agissante. Il pouvait. Mais Jésus a perdu cette puissance — il ne pouvait plus —, non pas parce qu’elle n’est plus en lui mais parce que la proclamation de l’homme guéri vient y faire obstacle. La puissance de Jésus devient impuissance, car elle ne peut plus agir. Jésus n’arrive plus à être dans une relation de personne à personne où cette puissance peut être féconde, où cette puissance peut être créatrice de vie. Nous sommes loin de la toute-puissance ! La puissance de Dieu dépend de nous, de notre ouverture à l’Esprit de Dieu en nous.

Nous comprenons mieux pourquoi Jésus interpelle l’homme en lui demandant de veiller à “rien dire à personne” : afin qu’il puisse poursuivre sa mission au milieu de la cité. Nous comprenons aussi mieux pourquoi Jésus s’emporte contre cet homme.

L’homme venait chercher une purification ; Jésus répond à sa demande et l’envoie au prêtre pour qu’il puisse témoigner de sa purification, et plutôt que de se plier à l’interpellation de Jésus, l’homme crie sur les toits et divulgue toute son histoire à qui veut bien l’entendre. Sa proclamation fait barrage à l’œuvre de Jésus qui s’accommode peu de la réputation de guérisseur.

Cette réputation devient un trop-plein. Le manque fait défaut. Il faut du manque pour pouvoir accueillir la puissance de Dieu en Jésus. — C’est la fin de notre texte. — Jésus se retire “dans les lieux déserts”, là où il y a du vide, du manque, là où ça coûte d’aller chercher une parole, un geste. La puissance de Dieu agit là où elle peut trouver de la place pour la recevoir.

Ce texte annonce celui de dimanche prochain où il sera également question de désert. Dans la rencontre d’aujourd’hui, Jésus nous interpelle en disant : Veillez, avec humilité, à créer du manque en vous-mêmes et à ne pas gonfler les autres jusqu’au trop-plein, de sorte que la puissance de Dieu y trouve encore de la place pour agir.

Seigneur, aide-nous à choisir l’humilité, à créer du manque en nous, à faire du vide en nous, pour accueillir ta puissance. Nous y trouverons la vie. Amen !

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