2 mai 2021 – Célébrer le passé, célébrer le présent – Qohéleth 12. 1-8 – B. Marchand

Qohéleth, 8 v.1-12 (traduction Nouvelle Bible Segond)

1 Souviens-toi de ton Créateur pendant les jours de ta jeunesse, avant que viennent les jours du malheur et qu’arrivent les années dont tu diras : “Je n’y trouve aucun plaisir” ; 2 avant que s’obscurcissent le soleil et la lumière, la lune et les étoiles, et que les nuages reviennent après la pluie. 3 Ce jour-là les gardiens de la maison tremblent, les hommes vaillants se courbent ; les meunières, trop peu nombreuses, cessent de moudre, celles qui regardent par les fenêtres sont dans l’obscurité, 4 les deux battants de la porte se ferment sur la rue tandis que baisse le bruit de la meule ; on se lève au chant de l’oiseau, toutes les chanteuses s’affaiblissent ; 5 on a peur de ce qui est élevé, il y a des terreurs en chemin, l’amandier fleurit, le criquet devient pesant, la câpre n’a plus d’effet, car l’être humain s’en va vers ce qui sera pour toujours sa demeure, et le cortège de lamentations passe dans la rue ; 6 avant que le cordon d’argent se détache, que le réservoir d’or se casse, que la jarre se brise à la fontaine, que la poulie se casse et tombe dans la citerne ; 7 avant que la poussière retourne à la terre, selon ce qu’elle était, et que le souffle retourne à Dieu qui l’a donné. 8 Futilité complète, dit Qohéleth, tout n’est que futilité.

 

Célébrer le passé, célébrer le présent

“Souviens-toi”. C’est ainsi que commence le texte biblique que nous venons de lire. Souviens-toi. Il s’agit de faire remonter en nous le passé, et de le nommer, de dire ce passé. Ce passé s’exprime à nouveau en nous. Nous portons ainsi un regard sur ce qui a été vécu et ressenti. Ce regard permet de prendre la mesure de ce qui a été vécu. Ce sont des émotions agréables, ou désagréables, qui peuvent nous saisir à ce moment-là, selon les souvenirs joyeux ou tristes qui remontent en nous.

Qohéleth parle de sa jeunesse, plus précisément — en hébreu — de l’époque où il était jeune homme avec toute la vigueur que cette jeunesse représente. Le corps a fini de grandir et possède ses pleines capacités. C’est pour Qohéleth le bon moment pour se souvenir de “[son] Créateur”, le moment de se souvenir de celui qui nous a enfanté, de se souvenir de Dieu qui nous donne la force de vie.

Se souvenir de Dieu, c’est invoquer Dieu, s’adresser à lui, et le reconnaître comme Créateur, à la fois comme Père et Mère : la mère qui enfante, et le père qui adopte, c’est-à-dire qui choisit de reconnaître le nouveau-né comme son enfant. Il est bien question d’un double enfantement par l’acte de création : un enfantement à la fois physique et symbolique, corporel et spirituel.

Qohéleth invite à se souvenir de Dieu “pendant les jours de [sa] jeunesse”, parce que ces jours-là passent. Pour le sage Qohéleth, qui est devenu vieux, ces souvenirs se teintent de nostalgie. Jeunesse et vieillesse s’opposent par contraste. Alors que la jeunesse porte en elle ce qui est bon, la vieillesse est “malheur” ; elle est synonyme de mauvais.

C’est toute une description négative qui est alors donnée de la vieillesse : des corps courbés, tordus, qui ne montrent plus la vaillance de la jeunesse, la vue qui s’assombrit — et qui évoque alors les ténèbres d’avant la création du monde (Genèse 1.2) —, l’ouïe qui baisse, les activités qui ralentissent ou s’arrêtent faute de forces vives, la confiance qui s’étiole et la peur se fait forte…tout s’alourdit, se casse, se brise, se détache, devient vain “avant que la poussière retourne à la terre, selon ce qu’elle était, dit Qohéleth en faisant encore référence au récit de la création (Genèse 2.7), et que le souffle retourne à Dieu qui l’a donné”.

Qohéleth conclut ainsi : “Futilité complète, […] tout n’est que futilité.” Tout n’est que hèvèl, en hébreu, c’est-à-dire du vide, du rien, sans consistance. C’est le nom même du frère de Caïn : Abel, Hèvèl (Genèse 4.2). Nous pourrions dire : nous sommes tous des Abel, des personnes vaines, sans valeur, sans intérêt.

La vieillesse fait relire l’existence comme une futilité qui se termine à la tombe. Voilà le regard que porte Qohéleth sur l’existence.

Ce regard m’interroge. Pourquoi la vieillesse ne célébrerait-elle pas la vie pour ce qu’elle a été dans le passé, même si elle a changé aujourd’hui ? Si la vieillesse altère les capacités physiques et psychiques, pourquoi altérerait-elle le spirituel, c’est-à-dire le sens de l’existence et les liens entre personnes et entre générations ? Pourquoi ne serions-nous pas disposés à célébrer la vie jusqu’à la mort, afin de rester vivants jusqu’à la mort ?

Dire que l’existence n’est que futilité, c’est vider l’existence de son sens ultime, qui dépasse sa propre personne et la relie à plus grand, plus vaste qu’elle. C’est mourir spirituellement avant même la mort du corps.

Dans l’évangile selon Jean, au chapitre 17, Jésus s’adresse longuement à Dieu dans la prière alors que son “heure est venue”, comme le dit Jésus lui-même. En effet, Jésus est sur le point d’être arrêté, jugé, condamné, crucifié. Jésus parle-t-il alors de son existence comme d’une futilité ? Tout cela pourra rien ?

Bien au contraire. Jésus reconnaît ce qu’il a reçu de Dieu, ce qui lui a été donné, et qu’il a accompli sur la terre. Il exprime une pleine reconnaissance. C’est une “joie complète” qui l’habite (Jean 17.13).

Dans notre vieillesse, comme dans notre jeunesse, et à tous les âges de la vie, nous sommes invités à regarder l’existence dans la reconnaissance de ce qui est donné, comme l’écrivent les disciples de l’apôtre Paul aux chrétiens d’Asie mineure : “Rendez toujours grâce pour tout, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, à celui qui est Dieu et Père.” (Éphésiens 5.20) Cette invitation s’adresse bien à nous aujourd’hui, quelque soit notre âge et notre existence. Nous y trouverons la vie ! Amen !

 

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