Texte biblique (Traduction Nouvelle Bible Segond)
Psaume 128
1 Heureux quiconque craint le Seigneur et suit ses voies ! 2 Tu jouis alors du produit de ton travail ; heureux es-tu, le bonheur est pour toi ! 3 Ta femme est comme une vigne féconde au fond de ta maison ; tes fils sont comme des plants d’olivier, autour de la table. 4 C’est ainsi qu’est béni l’homme qui craint le Seigneur. 5 Le Seigneur te bénira de Sion, et tu verras le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie ; 6 tu verras les fils de tes fils. Que la paix soit sur Israël !
Prédication
Ce psaume 128 me semble bien correspondre à la fête des récoltes de ce jour.
Nous sommes au bénéfice des bénédictions de Dieu, à travers ce que nous récoltons. Ce sont des produits du jardin, que vous avez apporté aujourd’hui. Ce sont des enfants que nous avons mis au monde, qui promettent d’être féconds, “comme des plants d’olivier”, et qui se réunissent autour de la table familiale. Le bonheur est présent au quotidien, dit le psaume : “tous les jours de ta vie”.
L’existence sur terre sera longue et permettra de voir grandir les petits-enfants.
Bonheur, bénédiction, réussite, fécondité et descendance pour celui et celle qui “suit les voies” de Dieu, dit le psalmiste.
Comment entendre ce psaume ? Ce psaume pose, à mes yeux, plusieurs problèmes théologiques, et interroge notre lecture, notre façon de lire le psaume.
J’en vois au moins trois.
Le premier problème théologique réside, il me semble, dans la notion de crainte de Dieu : “Heureux quiconque craint le Seigneur.”, entend-on au début du psaume. La crainte de Dieu est très souvent évoquée, et même valorisée, dans le Premier Testament, alors que le Nouveau Testament en parle très peu ; les textes du Nouveau Testament invitent même plutôt à quitter la peur et à faire confiance à Dieu.
La crainte de Dieu, c’est une peur mêlée de respect. C’est assez ambigu, à mon sens, car on peut tout à fait avoir un profond respect sans être dans la peur. Quand c’est la peur qui commande le respect, je doute de la sincérité du respect.
C’est certainement la venue de Jésus dans notre humanité qui nous permet de sortir de cette peur, car Dieu s’y est pleinement révélé en notre faveur, sans aucune condition, parce qu’il nous aime absolument.
Par conséquent, aujourd’hui, à la lumière de la révélation en Jésus le Christ, je dirais : “Heureux quiconque respecte profondément le Seigneur”, en écartant toute notion de peur.
Le deuxième problème théologique réside dans la question de la prospérité.
Serions-nous tentés, comme certaines communautés évangéliques, dans certains pays, par la théologie de la prospérité qui proclame que l’aisance financière est accordée par Dieu au croyant fidèle — et généreux financièrement pour son Église et ses pasteurs —, alors que la pauvreté est une malédiction, une punition de Dieu ?
Ou alors choisirions-nous une théologie de la rétribution ? Si tu es fidèle et bon, tu seras récompensé par Dieu ; si tu es infidèle et mauvais, tu seras puni par Dieu, d’une manière ou d’une autre. Il n’est alors plus seulement question de l’aspect financier, mais de tous les aspects de la vie : santé physique ou mentale, économique, financière, relationnelle, etc.
Cette théologie de la rétribution est toujours très présente dans les esprits. “Qu’ai-je fait à Dieu — au bon Dieu — pour mériter cela ?”, entend-on souvent, même de la part de personnes qui se disent protestantes.
Les réformateurs protestants ont pourtant fortement insisté que le salut ne se gagne pas au prix d’efforts, de mérites, à la suite d’épreuves et de souffrances, mais le salut est donné gratuitement par Dieu sans aucune condition. C’est la révélation majeure que Martin Luther, au 16e siècle, a reçu de sa lecture acharnée de la Bible et de sa relation de prière avec Dieu.
C’est vrai que de nombreux textes de la Bible plaident pour une lecture de la rétribution. Cette lecture est tentante, car elle paie en retour des comportements.
Tu es bon, tu reçois du bonheur ; tu es mauvais, tu reçois du malheur. Cela pousserait à faire le bien, n’est-ce pas ? C’est avantageux pour une société d’avoir une morale du donnant-donnant. Et l’éducation des enfants reste souvent attachée à ce principe moral. “As-tu été sage pour avoir un cadeau, une récompense ?” Notre société est pétrie par ce principe moral.
Cependant, ce n’est pas la justice de Dieu, et cela nous déroute bien souvent. Dieu donne sans compter et sans condition. Tout le monde peut recevoir. En fait, si, il y a une condition, c’est de bien vouloir recevoir ces dons de Dieu. Notre propre jugement et celui des autres font obstacle. Nous avons besoin de nous libérer du principe de rétribution pour accueillir le don pour rien, juste le don par amour.
C’est ce que nous a révélé Jésus le Christ comme serviteur de tous, jusqu’à sa mort sur une croix.
Donc ni prospérité, ni rétribution. Quelle théologie alors ? La théologie de la grâce, de la faveur pour chacun, chacune. C’est pourquoi nos cultes réformés commencent toujours par la proclamation de la grâce de Dieu à notre égard, avant toute autre parole, avant même l’accueil de l’assemblée par l’officiant. C’est Dieu qui nous accueille dans sa grâce.
Le troisième problème théologique est que le modèle proposé par le psalmiste s’inscrit dans le cadre idéologique d’un bonheur et d’une fécondité liés à la descendance, au fait d’avoir des enfants et petits-enfants, avec des femmes “au fond de [la] maison”, dit le psaume, des femmes pour faire des enfants et recluses dans la partie reculée de la maison. Quel malheur pour celui et celle qui n’a pas d’enfant !
La question de la descendance est très présente dans la Bible. Les histoires d’infécondité, avec toutes sortes de détournement pour provoquer la descendance, y sont monnaie courante au moyen de mères porteuses ou d’incestes. Pour les mères porteuses, nous penserons par exemple à Agar, servante de Sarah, femme d’Abraham, et à Bilha et Zilpa, servantes de Rachel et de Léa, femmes de Jacob, parce que ni Sarah, ni Rachel, ni Léa ne peuvent avoir d’enfant, à un moment donné. Pour les incestes, nous penserons à Loth et ses filles. La gestation pour autrui n’est donc pas une invention contemporaine, et si la procréation médicalement assistée avait existé dans l’Antiquité, nous en aurions des exemples dans la Bible, pour sûr ! Ces récits disent à quel point ne pas avoir de descendance est bien souvent une souffrance pour l’humain.
Alors la bénédiction de Dieu ne s’exprimerait, comme le propose le psaume, que par la fécondité qui donne naissance à une descendance ? Le bonheur réside-t-il dans la descendance ?
Ce psaume nous interroge, finalement en contraste, sur les signes de la bénédiction de Dieu, et sur ce qui constitue le bonheur. Nous sommes invités à ouvrir notre regard sur les signes que sont tous les dons que nous recevons : un sourire, une main tendue, un soutien, une attention, une écoute…Vous compléterez vous-mêmes cette liste. Ces dons de Dieu nous rendent féconds.
Mais alors, il nous faut aussi repenser la notion de fécondité. À mon sens, il est nécessaire de penser large, très large. La fécondité, c’est tout ce que nous semons durant notre existence et qui donne la vie : l’amour, la créativité artistique, la bienveillance…Là encore, je vous invite à prendre le temps de vous arrêter un moment pour compléter vous-mêmes cette liste.
Heureux quiconque a un profond respect pour le Seigneur et suit ses voies ! Heureux es-tu, le bonheur est pour toi ! Tu es fécond, tu es féconde de toute sorte de manière, sans même en prendre toujours conscience. C’est ainsi qu’est béni celui, celle qui respecte profondément le Seigneur. Amen !