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Alors que la sécheresse a gagné tout le pays et que l’oued où buvait le prophète Élie se retrouve à sec, Dieu envoie Élie vers la ville de Sarepta. C’est ce que nous apprend le récit qui précède celui que nous avons lu. Là-bas, à Sarepta, la promesse l’attend qu’une veuve pourvoira à tous ses besoins. Sarepta est la patrie du dieu Baal, le dieu qui, au dire de ses fidèles, fait le climat. Pourtant, Baal ne pourvoit pas aux besoins de la veuve qui n’a plus rien à manger.
Élie sollicite par deux fois les services de la veuve. Il lui demande d’abord de l’eau, puis du pain. Et c’en est trop pour elle. Cette dernière demande la recroqueville sur elle-même. C’est le premier point de ma prédication. La veuve se réserve le peu qu’il lui reste en huile et en farine pour préparer une galette à elle-même et à son fils. Son fils et elle semblent ne faire qu’un. Sans doute son fils est-il le seul lien qui lui reste ? Ce peu est destiné à cette entité mère-fils. Ce peu ne débouche sur aucune espérance. Une fois ce peu épuisé, seule la mort emportera cette entité mère-fils ; les deux sont voués à la mort : « Je vais rentrer préparer cela pour moi et pour mon fils, nous mangerons, après quoi nous mourrons. » Son dieu Baal ne pourvoit pas, ne donne aucune espérance.
En revanche, Élie appelle à la confiance, à l’espérance : « N’aie pas peur », dit-il à la veuve. « N’aie pas peur. » Cet appel retentit souvent dans la Bible. Dieu l’adresse à Abram (Genèse 15.1), à Isaac (Genèse 26.24), à Jacob (Genèse 46.3), à Josué (Josué 8.1), et à bien d’autres encore. Cet appel est le deuxième point de ma prédication. Par l’intermédiaire d’Élie, Dieu l’adresse cette fois-ci à la veuve. « N’aie pas peur. » Cet appel nous est également adressé lorsque nous lisons la Bible et que nous entendons la parole de Dieu. Abram face à l’impossibilité d’enfanter, Isaac dont les conditions de vie ne lui permettent pas plus d’espérer une descendance, Jacob qui a peur de se rendre en Égypte où son fils Joseph l’attend, Josué qui recule devant l’entreprise de conquête du pays d’Aï, oui, Abram, Isaac, Jacob, Josué sont des figures de nous-mêmes. Quand nous lisons leur histoire, nous nous y retrouvons par-ci par-là. Leur histoire et la nôtre se rencontrent parfois. Quand la confiance manque dans nos vies, quand aucune espérance ne se dessine, cette parole que Dieu adresse à la veuve — « N’aie pas peur. » — nous rappelle que nous ne sommes pas seuls, mais que Dieu nous accompagne et nous promet l’abondance de sa bienveillance : une farine et une huile à profusion.
Pourtant, pour la veuve, cette parole qu’elle entend par la bouche du prophète Élie ne semble pas rejoindre son existence. La veuve est bien trop recroquevillée sur elle-même pour être véritablement à l’écoute. C’est le troisième point de ma prédication. Le Dieu d’Élie n’est pas son dieu, dit-elle. C’est même la première parole qu’elle adresse à Élie : « Par la vie du Seigneur, ton Dieu […] » Le Dieu d’Élie ne la concerne pas. Quand Élie lui demande du pain, elle lui répond en ne considérant qu’elle et son fils. Élie tente de provoquer un premier décentrement, une première ouverture à ce qui est hors d’elle. Il demande à la veuve de le faire passer en premier, puis seulement après, elle et son fils pourront recevoir. Il lui dit : « Prépare-moi d’abord avec cela une petite galette. » Il n’est question que d’une petite galette. Élie ne lui demande qu’un petit décentrement, qu’une petite ouverture. La veuve y consent et reçoit en retour l’abondance. La petit brèche ouverte dans le recroquevillement de la veuve permet à l’abondance de s’engouffrer. S’ouvrir aux autres, à Dieu, même de façon infime, pour recevoir en abondance.
Cependant, l’abondance offerte par le Dieu d’Élie n’est pas suffisante pour que la veuve le reconnaisse comme son Dieu. Le pot de farine qui ne s’épuise pas et la cruche d’huile qui ne se vide pas ne révèlent pas le vrai Dieu pour cette veuve. Ce n’est pas son dieu Baal qui offre l’abondance et l’espérance, mais le Dieu d’Élie, et la veuve ne le voit pas. L’abondance n’apporte pas la vie pour elle. Bien au contraire, l’abondance offerte débouche sur la mort. Ce n’est pas cette abondance qui nourrit cette veuve, qui lui donne vie.
La veuve doit passer par l’épreuve de la mort pour interroger véritablement sa relation à Dieu. Je m’arrête sur ce quatrième point. Alors que la mort frappe son fils, et donc l’atteint elle-même dans son être, la veuve dit à Élie : « Pourquoi te mêles-tu de mes affaires, homme de Dieu ? » Elle s’adresse à Élie en tant qu’homme de Dieu. En parlant à Élie, elle interpelle Dieu. Le texte hébreu dit littéralement : Quoi pour moi et pour toi ? C’est-à-dire : Qu’y a-t-il entre moi et toi ? Par quelle relation sommes-nous liés ? La veuve désigne une relation de jugement : « Es-tu venu pour évoquer ma faute ? » Dieu est perçu comme un juge qui condamne. L’épreuve de la mort vient interroger la relation entre la veuve et Dieu, et du même coup entre la veuve et son fils. L’entité mère-fils ne laissait aucune place à Dieu. La mort vient briser cette entité. Élie sépare la veuve de son fils. Il lui prend son fils de son sein pour restaurer une autre relation entre elle et son fils, et entre elle et Dieu.
Mais d’abord, même Élie se révolte contre son Dieu. Je m’arrête sur ce cinquième et dernier point. Il était courant à l’époque d’attribuer à Dieu la cause d’une maladie. Parfois aujourd’hui encore entend-on ce genre de propos. Élie s’en prend à Dieu. Il doit, lui aussi, se confronter à la mort. Pour que l’enfant revienne à la vie, Élie doit s’étendre trois fois sur l’enfant, nous dit le texte. Littéralement, l’hébreu dit : Élie doit se mesurer trois fois à l’enfant, au corps mort qui est devant lui. Il doit se mesurer trois fois, c’est-à-dire totalement, à la mort. Même pour cet homme de Dieu, la confrontation à la mort, la prise au sérieux de la mort est nécessaire pour que de la mort puisse resurgir la vie, par l’action de Dieu. C’est uniquement en mesurant pleinement la mort, que la résurrection prend son sens. C’est uniquement après trois jours dans le tombeau que la résurrection du Christ prend son sens. Alors « le souffle de l’enfant revint en lui. » Ce n’est qu’à ce moment-là, c’est-à-dire à la toute fin du récit, que la veuve peut déclarer : « Maintenant je sais que tu es un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur dans ta bouche est vérité.} Par cette déclaration, elle proclame sa foi nouvelle. La résurrection du fils révèle enfin l’abondance en Dieu qui est vie, et l’espérance d’une abondance toujours renouvelée.
Seigneur, engouffre-toi par nos brèches pour que ton abondance soit vie pour nous, aujourd’hui, demain et toujours.
Amen